Comment la prise d'un mandat social peut - elle virer au cauchemar ?

On sous estime bien souvent la responsabilité juridique d’un mandat social et Il est important d'anticiper et de se rapprocher des instances du Tribunal de Commerce dès les premiers signes avant coureurs... 

Nicolas Michaud, Dirigeant de transition depuis 2010 principalement en contextes de crise financière, de gestion de projets de transformation et restructuration (acquisition/cession, optimisation de performances opérationnelles…).

Membre d’Amadeus Executives depuis 2017, il répond à nos questions. 

De quel contexte parlons-nous ?

Il concerne au départ une entreprise née sous forme d’une Joint-venture à 50/50 dans l’univers du recyclage, entre une société française du CAC 40 et celle d’un groupe Allemand leader mondial de la filière qui décident de nouer une alliance pour mieux appréhender le marché Français qui est stratégique dans ce secteur.

Constatant après cinq ans, que les conditions de performances ne sont pas réunies, la société Française décide de sortir soudainement de cette joint-venture. La société Allemande assume désormais seule cette structure localisée en France, alors qu’elle ne maîtrise ni le marché, ni la langue, ni le management et le back office historiquement français.

Brutalement mis au pieds du mur, dont ils s’étaient tenus à distance jusque-là par excès de confiance, les allemands décident de faire appel à un manager de transition. Mandat m’est donc donné, en tant que Directeur Général, pour analyser et diagnostiquer la situation, identifier des mesures de sauvegarde et de retournements possibles, d’amélioration de la performance et de changement de modèle économique. 

Quelles ont été les principales difficultés ?

J’en compte principalement trois :

Un business économique en place, totalement inadapté à ce marché en France. En effet, celui-ci ne peut se reposer que sur un modèle de l’économie sociale et solidaire, d’ailleurs incarné chez le principal concurrent, acteur majeur de l’ESS (environnement dans lequel les coûts d’exploitation sont largement subventionnés), détenant 70% de ce marché. Vient s’ajouter, à ce moment-là, une conjoncture économique déprimée souffrant de l’effondrement des cours mondiaux ayant impactés lourdement le modèle économique de la filière de recyclage concernée. 

Un management licencié sans possibilité pour moi ni de passation ni de transition. Une démobilisation des équipes, dont 25 % des effectifs ont déjà négocié des ruptures conventionnelles avant mon arrivée. Une comptabilité inexistante faute de responsable comptable depuis 18 mois.

Un marché très fermé, de niche, avec ses codes et ses lois (appels d’offres publics) et dans lequel il est très difficile d’instaurer une véritable relation de confiance lorsque l’on n’est plus un acteur français reconnu.

Comment votre mandat social a-t-il tourné au cauchemar? 

je dirais plutôt, comment passer du redresseur d’entreprise à celui de dirigeant mis en responsabilité par le liquidateur pour poursuite abusive d’une gestion déficitaire…

En effet, je passe six mois à clarifier la situation, à élaborer des scenarii de redressement que je propose à l’actionnaire allemand. Les perspectives sont complexes, longues et surtout très coûteuses. Au bout de neuf mois, les allemands décident de jeter l’éponge et me demandent de déposer le bilan. Je demande l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire pour restructurer l’entreprise, prévoyant le cash nécessaire dans les comptes pour financer le plan de redressement.

Coup de théâtre, la procédure aboutit au prononcé d’une liquidation immédiate et au transfert de gestion au liquidateur judiciaire, qui liquide sans exploiter tous les leviers de redressements ou de valorisations que nous avions préparés. Ce dernier décide, de plus, de nous attaquer en responsabilité pour poursuite abusive d’activité déficitaire comme il le fait systématiquement dans chacun des dossiers qu’il traite. 

Quelle réflexion vous inspire cette issue à posteriori ? 

Étant dirigeant de transition depuis plus de 10 ans, je suis habitué aux situations d’urgence et de crise qui sont finalement le propre de ce métier. Chaque mission a ses difficultés et ses obstacles plus ou moins grands. Cependant, lorsque l’on intervient en tant que Directeur Général vient s’ajouter la responsabilité d’un mandat social qui peut être mise en cause et à mal.   

On sous estime bien souvent la responsabilité juridique d’un mandat social

Notre mission est de tout faire pour sauver l’entreprise. Il est donc dommage de devoir subir de façon brutale une décision de liquidation immédiate sans avoir la possibilité de défendre notre demande d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, dont les suites immédiates sont le licenciement brutal de l’ensemble des salariés sans aucune empathie ni recherche de dialogue dans l’optimisation de la procédure de liquidation.

De plus, il serait bon que les instances juridictionnelles concernées fassent preuve de plus de considération à l’encontre des dirigeants souvent considérés, par principe, comme fautifs.

En cette période troublée où malheureusement le nombre de dirigeants devant déposer le bilan va considérablement augmenter, il serait indiqué à mon avis de faire évoluer positivement l’accompagnement de ces entreprises et leurs dirigeants.

En début de mandat, on n'est jamais assez vigilant sur la pérennité financière de l'entreprise. 

En dehors des actions (disposer des bons outils de pilotage financier, restauration de la confiance, motivation, renouvellement des équipes), et des décisions opérationnelles (stratégie de marché, respect de la qualité, protection des stocks…)  inhérentes à la mission, c’est sans doute sur ce point précis que cette expérience m’a donné l’occasion d’être plus vigilant. Je veille à être beaucoup plus attentif sur toutes les responsabilités que suppose un mandat social. Dans la mesure du possible, j’analyse en amont plus précisément la pérennité financière de l’entreprise et la qualité de la production de l’information comptable. 

Il est important d'anticiper et de se rapprocher des instances du Tribunal de Commerce. 

Lorsque l’on fait face à des difficultés, il est important d’anticiper et de se rapprocher des instances du Tribunal de Commerce pour expliquer sa situation et certainement obtenir un meilleur traitement lorsque les difficultés se confirment et amènent à déposer le bilan ; ce qui n’a malheureusement pas pu être le cas dans la situation d’urgence exposée.

Ce genre d'expérience,toujours instructive, m’a donné un certain nombre de réflexes que je serais ravi de partager avec vous. N'hésitez pas à me contacter si vous êtes confronté à ce genre de situation.

Nicolas Michaud